Cardinal Brandmuller

Dans une interview au journal Bild am Sontage, le cardinal Brandmuller explique pourquoi sur la question du mariage, la miséricorde et la vérité vont de pair.

– Bild am Sonntag : Pourquoi les conservateurs sont-ils si durs et sans pitié, Votre Eminence ?

Cardinal Brandmüller : Le sont-ils ? Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui était sans pitié parce qu’il était conservateur. Il y a des libéraux et des conservateurs compatissants, et d’autres sans pitié. Est-il miséricordieux, le médecin qui évite au patient une opération salvatrice et lui laisse l’alcool et la nicotine à volonté ? Ou bien celui qui donne au diabétique une Sacher Torte ?

– Bild am Sonntag : Mais les conservateurs ne parlent-ils pas habituellement davantage du péché, alors que les libéraux (les progressistes) parlent davantage du pardon et de la miséricorde ?

Cardinal Brandmüller : C’est nouveau pour moi. D’où le savez vous ? Par les journaux ? Les libéraux aussi parlent du péché. C’est vrai, en général ils entendent par là quelque chose de différent. Pour eux il y a plus d’infractions de stationnement ou d’erreurs de régime. Alors, qu’est-ce que le péché ?

– Bild am Sonntag : Dites-le, je vous en prie.

Cardinal Brandmüller : Le péché est une attitude ou action moralement inférieure par laquelle les gens s’infligent du mal à eux mêmes ou aux autres. Nous savons tous que nous nous sentons mal lorsque nous faisons le mal ou agissons mal. La fraude, l’adultère, le meurtre n’ont pas encore rendu les gens plus heureux. Dostoïevski a écrit des romans entiers sur ce sombre secret.

– Bild am Sonntag : Mais les conservateurs ne sont-ils plutôt timorés, tandis que les libéraux sont courageux ?

Cardinal Brandmüller : Où avez-vous vu cela ? Nous parlons peut-être de l’éléphant qui se fraye courageusement un chemin dans un magasin de porcelaines ? La précaution dans le maniement d’objets précieux ne doit pas être confondue avec la peur.

– Bild am Sonntag : Comment les conservateurs se sont-ils fait une réputation d’obscurantistes, par opposition aux lumières progressistes ?

Cardinal Brandmüller : Faut-il rire ? Les obscurantistes sont des figures ridicules tirées de la naphtaline des soi-disant Lumières. Il y a des préjugés qui n’ont aucune justification raisonnable. Il y a 200 ans, ceux qui s’opposaient au délire du progrès et à l’esprit du temps ont tous été calomniés comme de sinistres personnages. Les Jacobins aimaient se représenter comme représentants des Lumières (Lichgestalten) alors qu’au nom du progrès ils faisaient rouler les têtes.

– Bild am Sonntag : Pourquoi après 200 ans tant de libéraux sont-ils encore fascinés par le concept de révolution ?

Cardinal Brandmüller : Vous devriez le demander aux libéraux. Moi, je frissonne à cette idée. Nous ne devons pas oublier combien de sang et de larmes les grandes révolutions ont apporté aux peuples ! Les Nazis se voyaient comme des révolutionnaires. Les révolutionnaires sont des incendiaires.

– Bild am Sonntag : Mais les conservateurs n’aiment-ils pas regarder en arrière ? tandis que les libéraux regardent en avant et vers le futur. Pourquoi ?

Cardinal Brandmüller : Je suis un historien. Le passé est plein d’expérience, il est très concret. Le futur est le règne des rêves et des séducteurs. Rien n’y est vérifié et on peut tout y dire et tout promettre. Un futur solide ne peut être bâti que sur la base d’une solide expérience de l’histoire.

– Bild am Sonntag : Pourquoi la querelle entre conservateurs et libéraux a-t-elle éclaté sur la question de la famille ?

Cardinal Brandmüller : Les idéologues qui veulent changer les gens et la société, commencent par la famille et sa destruction. C’était la même chose avec Marx et Lénine. Les familles sont les cellules primordiales de toute communauté. Voilà pourquoi elles sont aussi si vulnérables. Il ne faudrait pas en faire l’objet d’expérimentations. Je ne parle pas de la dernière folie des ovules congelés !
Un incroyable combat s’est déclenché au sujet de la famille et aucun ne l’a défendue autant que l’Eglise. C’est ce que les Papes Paul VI et Jean Paul II, depuis des décennies, ont prophétiquement mis en lumière.

– Bild am Sonntag : Comment interprétez vous que le cardinal Müller et le cardinal Kasper, les adversaires les plus notables dans cette controverse entre conservateurs et libéraux dans l’Eglise catholique soient allemands ?

Cardinal Brandmüller : Je vous réponds avec Goethe : « Deux âmes hélas abrite ma poitrine ». Cela vaut d’une certaine manière aussi pour Allemagne, surtout après la Réforme, où les allemands se sont divisés en deux camps. Ce clivage pénètre aujourd’hui encore l’Eglise catholique en Allemagne.

– Bild am Sonntag : L’Eglise catholique s’est trouvée en conflit avec Henri VIII au sujet de l’indissolubilité du mariage, ce qui a conduit en 1535 au schisme de l’Eglise anglicane. Est-ce que cela en valait le prix ?

Cardinal Brandmüller : La question est mal posée. Aucun pape ni aucun concile ne peuvent passer au dessus des mots de Jésus sur le mariage. « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ». La fidélité à la parole de Dieu était plus importante pour le Pape Clément VII que les menaces politiques du souverain anglais. L’Eglise n’a aucun titre pour modifier les sacrements. L’apôtre Paul dit que nous ne sommes que des administrateurs et que l’administrateur doit être fidèle. L’Eglise est une fondation, et la volonté du fondateur est tout ce qui compte.

– Bild am Sonntag : Est ce que nous comprenons mieux la parole de Dieu avec les théologiens d’aujourd’hui ou avec ceux d’avant ?

Cardinal Brandmüller : La parole de Dieu est inépuisable en forme et contenu. Il y a donc probablement une avancée dans la connaissance. Mais il n’est pas concevable que des découvertes plus récentes contredisent ce qui a été préalablement connu. Deux plus deux fait quatre. La vérité ne change pas, et l’Esprit de Dieu ne se contredit pas.

– Bild am Sonntag : Une Eglise en bonne santé a-t-elle vraiment besoin d’une telle controverse ?

Cardinal Brandmüller : Un certain ferment d’inquiétude fait du bien à toute communauté. Même les conservateurs ont besoin d’une surface de friction pour craquer leurs allumettes. L’erreur a son importance pour faire progresser la connaissance.

– Bild am Sonntag : Ne devrions-nous pas craindre une Eglise composée des seuls conservateurs ?

Cardinal Brandmüller : Cela dépend de ce que vous entendez par conservateurs.

– Bild am Sonntag : Qu’est-ce qui est conservateur, Eminence ?

Cardinal Brandmüller : En culture et en religion, conservateur n’a pas le même sens qu’en politique. Les relations sociales ou les formes de gouvernement comme par exemple la monarchie à conserver quelles que soient les circonstance, ce n’est pas conservateur. C’est pareil dans la vie. Le lézard peut perdre sa queue afin de sauver sa vie. Les vrais conservateurs le comprennent, qui écartent ce qui est de seconde importance afin de garder l’essentiel. Garder les choses sans valeur n’est pas conservateur. Ce n’est pas conservateur de garder des cendres, disait Jean XXIII, mais de surveiller la braise. Chez le dentiste il est conservateur de garder la racine et de ne pas extraire la dent. Nous avons besoin d’aliments en conserve : de la conservation du sang, des aliments en conserve. Les pompiers aussi sont conservateurs, quand ils arrivent à temps !

Publié dans le 10 octobre 2018

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