Oeuvres de miséricorde

Le Jubilé de la Miséricorde est l’occasion d’approfondir la miséricorde de Dieu pour son peuple. Mais c’est aussi et de manière liée chercher à faire miséricorde, afin d’être miséricordieux comme notre Père est miséricordieux. Les œuvres de miséricorde sont des moyens concrets le devenir.

Le Pape a ouvert en décembre 2015 le Jubilé de la Miséricorde en précisant : « J’ai un grand désir que le peuple chrétien réfléchisse durant le Jubilé sur les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles. Ce sera une façon de réveiller notre conscience souvent endormie face au drame de la pauvreté, et de pénétrer toujours davantage le cœur de l’Evangile, où les pauvres sont les destinataires privilégiés de la miséricorde divine » (Misericordiae Vultus 15b).

Mais cette réflexion, dans l’esprit du Saint-Père, doit nous conduire à l’action. « La prédication de Jésus nous dresse le tableau de ces œuvres de Miséricorde, pour que nous puissions comprendre si nous vivons, oui ou non, comme ses disciples » (MV 15b). Le Saint Père nous invite donc à travers ce Jubilé à faire le point sur notre vie chrétienne, pour examiner honnêtement si elle est en conformité avec l’une des exigences prioritaires posées par le Christ pour le Salut : l’exercice de la miséricorde. « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Mt 5). Sommes-nous vraiment des disciples du Christ ? Le suivons-nous vraiment là où il a marché, c’est-à-dire sur des chemins qui le conduisaient bien souvent vers les plus pauvres ? « En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait. Et ils s’en iront au châtiment éternel » (Mt 25). La question mérite donc d’être examinée avec attention !

Définition et classement

Quelles sont ces œuvres de miséricorde ? Le CEC définit ainsi les œuvres de miséricorde : ce « sont les actions charitables par lesquelles nous venons en aide à notre prochain dans ses nécessités corporelles et spirituelles » (CEC 2447). On distingue 7 œuvres corporelles, et 7 spirituelles. Les œuvres corporelles sont : 1. donner à manger aux affamés, 2. donner à boire à ceux qui ont soif, 3. vêtir ceux qui sont nus, 4. accueillir les étrangers, 5. assister les malades, 6. visiter prisonniers, 7. ensevelir les morts. Les œuvres spirituelles sont : 1. conseiller ceux qui sont dans le doute, 2. enseigner les ignorants, 3. avertir les pécheurs, 4. consoler les affligés, 5. pardonner les offenses, 6. supporter patiemment les personnes ennuyeuses, 7. prier Dieu pour les vivants et pour les morts.

Origine de ce classement

Nous devons au rhéteur Lactance (IVe s.) l’ingénieuse idée d’avoir réuni en un premier groupe les sept principales œuvres corporelles de miséricorde. Plusieurs siècles avant Jésus-Christ, le prophète Isaïe les citait déjà comme les œuvres qui plaisent vraiment à Dieu :
« Les jours de jeûne, vous opprimez vos ouvriers (…), vous jeûnez dans la dispute et la querelle, et en frappant à coups de poing l’indigent (…) Est-ce là (dit le Seigneur) un jeûne qui puisse me plaire ? Ne savez-vous pas le jeûne qui me plait ? – rompre les chaînes injustes (…), renvoyer libres les opprimés, briser tous les jougs ; partager ton pain avec l’affamé, héberger les pauvres sans abri, vêtir celui que tu vois nu, et devant ton frère, ne pas te dérober » (Is 58, 3-9). Apostrophe résumée par Osée (VIIIe s.) en cette simple formule : « C’est la miséricorde que je désire, non les sacrifices ; la connaissance de Dieu, non les holocaustes » (Os 6, 6).
Enfin, Jésus n’a pas enseigné autre chose. L’Evangile signale six de ces œuvres énoncées par Notre Seigneur quand il a dit sur quoi il jugera principalement les hommes au jugement dernier (Mt 25) (1). La catégorie des œuvres spirituelles a été ajoutée ultérieurement, et on retrouve ces deux catégories citées dans la Somme théologique de Saint Thomas au XIIIe siècle (2).
Ces 14 œuvres de miséricorde trouvent leur perfection et leur modèle dans le Christ, qui les a pratiquées. Mais déjà, les justes de l’Ancien Testament les pratiquaient (3). Et à la suite du Christ, l’Eglise et tous ses saints n’ont eu de cesse d’en faire autant, pétris du sens de leur mission sur terre après le départ du Christ : « Je vous ai donné l’exemple pour qu’à votre tour vous agissiez envers le prochain comme j’ai agi moi-même envers vous » (Jn 13, 15).

La gravité du devoir de la miséricorde (4)

L’importance que la Bible attache à l’exercice de la miséricorde envers le prochain ressort de trois considérations complémentaires :
1. Dieu rendra à chacun selon ses œuvres.

2. Il châtiera les gens impitoyables.

3. Il bénira et récompensera les miséricordieux ; eux seuls trouveront miséricorde auprès de Dieu.

Ancien et Nouveau Testament nous avertissent que Dieu demandera compte à chacun de sa conduite : « Moi, Yahvé, je scrute le cœur, je sonde les reins, pour rendre à chacun selon sa conduite, selon le fruit de ses œuvres » (Jr 17, 10). « Le Fils de l’homme doit venir dans la gloire de son Père avec ses anges, et alors il rétribuera chacun selon sa conduite » (Mt 16, 27).

Dieu maudira et châtiera les gens impitoyables

« Pour qui donne aux pauvres, pas de disette, mais qui ferme les yeux sera maudit » (Pr 28, 27). Ce texte significatif préparait le temps où Notre Seigneur annoncerait lui-même le sort réservé à ceux qui manquent gravement au devoir de la miséricorde. Dans les paraboles du mauvais riche et du serviteur impitoyable, le Maître y fait nettement allusion. Il ressort de la première parabole que les riches ont certainement devant Dieu une responsabilité sociale vis-à-vis des humbles et des miséreux. Dans la seconde, Jésus a condamné sévèrement ceux qui refusent de pardonner au prochain ou de compatir à leurs épreuves. Au jugement dernier, ils seront traités comme ils auront traité les autres (5).

Dieu bénira et récompensera les gens miséricordieux

« Si tu donnes ton pain à l’affamé, si tu rassasies l’opprimé, le Seigneur te guidera constamment dans le désert et il te rassasiera » (Is 58, 10-11). « Qui donne au pauvre prête à Yahvé, lequel paiera le bienfait de retour » (Pr 19, 17).
Et le Seigneur a confirmé ces promesses de bénédictions : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Mt 5, 7) ; « Nul ne quittera pour moi ce qu’il possède qu’il ne reçoive le centuple dès cette vie, et dans le temps à venir, la vie éternelle » (Mc 10, 28-30). En attirant l’attention de ses auditeurs spécialement sur les œuvres de charité, Jésus a montré l’estime qu’il en a et qu’il nous demande de partager. Il en a indiqué la raison, à savoir que l’accomplissement ou l’abstention de ces œuvres marquent nettement à ses yeux l’amour qu’on témoigne à lui-même – ou qu’on lui refuse – en la personne du prochain.

Conclusion

Il apparaît donc comme incontournable pour un chrétien de pratiquer les œuvres de miséricorde, car le Seigneur nous l’a demandé ; et il nous l’a demandé parce que c’est le seul chemin par lequel on peut à la fois le rencontrer en personne et le faire connaître au monde. C’est donc le moyen privilégié de notre salut et du salut du monde.
Mais précisons un point essentiel : certes notre salut est en jeu, mais nous ne devons pas exercer la miséricorde par peur du châtiment. Ce qui doit nous animer, c’est avant tout le désir que Dieu se communique à nous dès à présent, dans cette vie terrestre imparfaite. Il nous l’a promis : allez servir les pauvres et c’est là que vous me trouverez ! En étant miséricordieux, on obtient miséricorde ; c’est-à-dire qu’on obtient la présence de Dieu qui vient nous habiter. N’est-ce pas le but de toute vie chrétienne ? L’exercice de la miséricorde est donc bien la voie assurée de notre bonheur éternel, mais aussi dès ici-bas.
Enfin, rappelons-nous que l’amour de Dieu pour chaque homme ne peut aujourd’hui être rendu manifeste à chacun qu’à travers l’action miséricordieuse des disciples de Jésus miséricordieux (l’Eglise) à leur égard, agissant selon les préceptes que le Maître leur a donnés lors de sa vie terrestre. Sans notre coopération active, Jésus restera comme « enfermé au Ciel » et les hommes continueront de crier leur colère vers le Ciel, apostrophant ce Dieu indifférent qui semble laisser ici-bas croître le mal

Sources principales : P. van Agt, Soyez miséricordieux, 2e partie (Cèdre, 1962) ; Les œuvres de miséricorde, conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation, Mame (2015).

(1) P. van Agt, Soyez miséricordieux, Cèdre, 1962, p. 143.
(2) II-II, q. 32, a. 2.
(3) Par ex. Tobie (Tb 1, 16-18).
(4) Van Agt, p. 107.
(5) Ibid, p. 109.

Publié dans le 10 octobre 2018

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