Six ans seulement après sa mort, le pape Jean-Paul II sera béatifié le 1er mai, dimanche de la Miséricorde.
Quelle place a tenu la Miséricorde chez le nouveau bienheureux ?
Pour montrer l’unité entre la vie de sainte Faustine et le message de la Miséricorde dont elle avait été la voix, Jean-Paul II l’avait canonisée le 30 avril 2000, jour de l’octave de Pâques et donc dimanche de la Miséricorde, plutôt qu’à une date proche de sa naissance au ciel, le 5 octobre. Pour la béatification de Jean-Paul II, Benoît XVI n’a même pas eu à séparer la date de sa béatification de l’anniversaire de sa mort puisqu’elles coïncident. C’est en effet après les premières vêpres du dimanche de la Miséricorde, le 2 avril 2005, que Jean-Paul II est entré dans la gloire du ciel.
En rappelant Jean-Paul II à Lui en ce jour consacré à la Miséricorde, la Providence du Seigneur a scellé l’histoire de ce pape au message de la Miséricorde. « Sa vie et son pontificat, écrit le père Lombardi, directeur de la salle de presse du Saint-Siège, ont été dictés par sa passion de faire connaître au monde entier, le monde où il a vécu, celui de notre dramatique histoire au tournant des millénaires, la grandeur réconfortante et enthousiasmante de la Miséricorde de Dieu : c’est de cela que le monde a besoin […] Voilà pourquoi, nous aurons précisément la joie de célébrer sa béatification solennelle le jour où lui-même a voulu que toute l’Eglise tourne son regard et adresse ses prières à cette Miséricorde divine(1) ».
L’apôtre de la Miséricorde dont sainte Faustine fut la secrétaire
Si sainte Faustine est la secrétaire de la Miséricorde, comme le Christ l’a appelée Lui-même, Jean-Paul II en est l’apôtre. C’est lui qui a été à la source du développement de la dévotion à la Miséricorde, telle que le Christ l’avait demandée dans ses apparitions. C’est lui qui ouvre le procès de béatification de sœur Faustine, en 1965, alors qu’il est évêque de Cracovie. C’est lui qui la béatifie le 30 avril 1993, puis la canonise le 30 avril 2000, première canonisation de l’an 2000 et du nouveau millénaire. C’est lui qui enfin répond à l’appel du Christ en instituant le dimanche après Pâques « Dimanche de la Miséricorde », pour l’Église universelle(2). Selon ses mots mêmes, le pape a fait plus que canoniser une religieuse ce jour-là. « La canonisation de sœur Faustine revêt une éloquence particulière. Par cet acte, j’entends transmettre aujourd’hui ce message [de la Miséricorde] au nouveau millénaire(3) ». C’est enfin lui qui a célébré la dédicace du sanctuaire de la Miséricorde à Lagiewniki, « convaincu qu’il s’agit d’un lieu particulier choisi par Dieu pour déverser la grâce de sa Miséricorde(4) » et consacré en ce jour le monde à la Miséricorde divine.
Sans Jean-Paul II, il est probable que le message de sainte Faustine n’aurait pas eu l’ampleur qu’il a maintenant.
L’expérience personnelle de la Miséricorde
L’enseignement de Jean-Paul II sur la Miséricorde a commencé dès son accession au Siège de Pierre. Dès 1980, sa deuxième encyclique, Dives in Misericordia proposait une méditation sur la Miséricorde du Père. Ce souci de mettre en lumière cet attribut de Dieu n’a donc pas grandi peu à peu au cours de son pontificat, mais vient d’une certitude qu’il avait acquise avant son élévation au souverain pontificat. « Le message de la Divine Miséricorde m’a toujours été cher et familier. C’est comme si l’histoire l’avait inscrit dans l’expérience tragique de la seconde guerre mondiale. En ces années difficiles, il a été un soutien particulier et une source inépuisable d’espérance, non seulement pour les habitants de Cracovie mais pour toute la nation. Telle a été aussi mon expérience personnelle, que j’ai apportée avec moi sur le Siège de Pierre et qui, en un sens, dessine l’image de ce pontificat(5) ».
La vie de Karol Wojtyła a été marquée par le mystère de la souffrance et du mal. Alors qu’il n’avait que neuf ans, il perd sa mère. Trois ans plus tard, il perd son frère, et douze ans après son père. Mais surtout, il a connu deux systèmes profondément pervers et destructeurs pour l’homme, le nazisme et le communisme. Il en a tiré la conviction que le monde contemporain est marqué par le mal comme il ne l’avait jamais été auparavant. « C’est, en effet, entre la Première et la Seconde Guerre mondiale que le Christ lui [sainte Faustine] a confié son message de miséricorde. Ceux qui se souviennent, qui furent témoins et qui prirent part aux événements de ces années et des atroces souffrances qui en découlèrent pour des millions d’hommes, savent bien combien le message de la miséricorde était nécessaire(6) ».
Devant ce déferlement du mal, il a été amené à méditer sur le plan de Dieu vis-à-vis du mal, sur la réponse de Dieu à la question du mal. Il est incontestable que c’est dans cette époque de sa vie que s’est ancré son attachement à la Miséricorde : « L’héritage de sa [sainte Faustine] spiritualité eut – nous le savons par expérience – une grande importance pour la résistance contre le mal qui agissait dans les systèmes inhumains d’alors(7) ».
Jean-Paul a donc d’abord vécu de la Miséricorde avant de la prêcher. Avant son élection d’abord : « Combien de fois, moi aussi, en tant qu’ouvrier et étudiant, puis en tant que prêtre et évêque, des périodes difficiles de l’histoire de la Pologne, ai-je répété cette simple invocation [Jésus, j’ai confiance en Toi, révélée par le Christ à sainte Faustine], en constatant son efficacité et sa force(8) ». Comme pape ensuite, ainsi qu’il le décrit dans son encyclique sur l’unité des chrétiens : « Se fondant sur la triple profession d’amour de Pierre qui correspond à son triple reniement, son successeur sait qu’il doit être signe de Miséricorde. Son ministère est un ministère de Miséricorde, procédant d’un acte de Miséricorde du Christ(9) ».
La miséricorde dans l’enseignement de Jean-Paul II
Selon les mots mêmes de Jean-Paul II, l’enseignement sur la Miséricorde a été le fil rouge de tout son enseignement : « Dives in Misericordia – riche en Miséricorde – c’est en un certain sens l’Encyclique-programme de mon ministère au Siège de Saint-Pierre(10) ». Avec le recul, son successeur reprendra cette analyse : « Le mystère de l’amour miséricordieux de Dieu est placé au centre du Pontificat de mon vénéré prédécesseur. (…) Les paroles qu’il prononça [lors de la consécration du sanctuaire de Lagiewniki] ont été comme une synthèse de son Magistère(11) ».
Quel est le trait principal de son enseignement ? C’est la présentation de la miséricorde comme unique rempart contre le mal et par conséquent comme immense source d’espérance. Il l’enseigne et le proclame à un monde qui n’a plus recourt à Dieu, et donc qui ne veut pas de miséricorde, à un monde qui veut trouver tout seul des solutions au mal, à un monde dans lequel « le mot et l’idée de miséricorde semblent mettre mal à l’aise l’homme qui, grâce à un développement scientifique et technique inconnu jusqu’ici, est devenu maître de la terre qu’il a soumise et dominée(12) ». Le constat est là : même avec la volonté de réduire les inégalités, de limiter la souffrance, de respecter les droits de chaque homme, le mal ne diminue pas mais augmente, les menaces graves pour l’humanité se développent. L’homme n’a pas la capacité de réduire le mal. Cela n’appartient qu’à Dieu, et plus précisément qu’à la Miséricorde divine.
Mais le message du pape ne s’arrête pas là. La Miséricorde n’est pas qu’un rempart contre le mal, elle est une force de reconstruction. « La miséricorde se manifeste dans son aspect propre et véritable quand elle revalorise, quand elle promeut, et quand elle tire le bien de toutes les formes de mal qui existent dans le monde et dans l’homme(13) ». Le tableau que Jésus a demandé à sainte Faustine de peindre l’indique bien. Certes, c’est bien de son cœur transpercé que jaillissent le rayon rouge qui donne la vie et le pâle qui purifie. Mais c’est ressuscité et vainqueur de la mort qu’il apparait. C’est sur cette contemplation du Christ miséricordieux et vainqueur du mal que l’espérance chrétienne s’appuie, et non sur les forces humaines. « A l’humanité qui parfois semble perdue et dominée par le pouvoir du mal, de l’égoïsme et de la peur, le Seigneur ressuscité offre le don de son amour qui pardonne, réconcilie, et rouvre l’âme à l’espérance. C’est un amour qui convertit les cœurs et donne la paix. Combien le monde a besoin de comprendre et d’accueillir la miséricorde divine(14) ! »
Jean-Paul II a été l’apôtre de la Miséricorde. Convaincu de l’importance de la Miséricorde non seulement pour l’Église, mais pour le monde, il nous a laissé comme héritage la consécration du monde à la miséricorde, ultime planche de salut pour le 3e millénaire : « Dieu, Père miséricordieux, qui as révélé Ton amour dans ton Fils Jésus-Christ, et l’as répandu sur nous dans l’Esprit Saint Consolateur, nous Te confions aujourd’hui le destin du monde et de chaque homme. Penche-toi sur nos péchés, guéris notre faiblesse, vaincs tout mal, fais que tous les habitants de la terre fassent l’expérience de ta miséricorde, afin qu’en Toi, Dieu Un et Trine, ils trouvent toujours la source de l’espérance. Père éternel, pour la douloureuse Passion et la Résurrection de ton Fils, accorde-nous ta miséricorde, ainsi qu’au monde entier ! Amen(15) »
(1). Cf. www.zenit.org, 17 janvier 2011. (2) Cela signifie que toute paroisse doit fêter la Miséricorde en ce dimanche, de la même manière que l’on fête le Sacré Cœur. Il faut malheureusement constater que dans beaucoup d’endroits, cette exigence de la liturgie de l’Église n’est pas respectée, sous prétexte qu’il s’agirait là d’une dévotion privée. Cela ne l’est plus depuis le 30 avril 2000. (3) Homélie pour la canonisation de sainte Faustine, 30 avril 2000. (4) Homélie pour la consécration du sanctuaire de Lagiewniski, 17 août 2002. (5) Discours à Cracovie, 7 juin 1997. (6) Homélie pour la canonisation de sainte Faustine, 30 avril 2000. (7) Mémoire et identité, chapitre 10. (8) Audience générale, 21 aout 2002. (9) Encyclique Ut unum sint, n° 93. (10) Homélie à la paroisse romaine des Sacrés-Cœurs de Jésus et Marie à Tor Fiorenza, 17 mars 1985. (11) Regina Cœli du 23 avril 2006, dimanche de la Miséricorde. (12) Encyclique Dives in Misericordia, n° 2. (13) Ibid., n° 6. (14) Message posthume de Jean-Paul II, Ce texte avait été préparé par le pape pour le dimanche de la Miséricorde 2005. (15) Homélie pour la consécration du sanctuaire de Lagiewniski, 17 août 2002.