Le fils prodigue

En cette année de la Miséricorde, il est bon d’approfondir ce que cette notion recouvre. Et pour mieux percevoir la beauté de la Rédemption, acte par excellence de la Miséricorde, il est important de mieux comprendre le don de Dieu que la Rédemption a restauré : celui de la filiation divine.

Le Jubilé de la miséricorde que l’Eglise nous donne de vivre permet d’approfondir la manière dont Dieu vient nous chercher après le péché, dont il nous relève, s’occupe de nous à travers nos lenteurs et nos refus. Mais pour bien saisir toute la beauté de la miséricorde qui vient nous redonner ce qui était perdu, il semble nécessaire de comprendre ce qu’il nous a donné à l’origine. On ne saisit la beauté de la rédemption qu’en fonction de celle de la création. La magnifique parabole de l’enfant prodigue peut nous y aider. Ce passage de l’Evangile est très connu, trop peut-être et on le lit souvent sans l’approfondir, en se disant qu’on le connaît trop bien.

Dieu nous a créés pour nous unir à Lui

Arrêtons-nous sur la parole du père au fils ainé, celui qui est resté et qui s’attriste de l’accueil fait au cadet à son retour : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi » (Lc 15, 31). Si l’on remarque bien, Jésus rapporte dans le discours de la Cène cette parole de son Père : « Tout ce qui est à moi est à toi, et tout ce qui est à toi est à moi » (Jn 17, 10). C’est quasiment mot pour mot la même phrase. Ce que le Père dit éternellement à son Fils, il nous le dit en nous créant. Ce qu’il dit à son Fils par nature, il nous le dit par adoption. Le don de cette adoption, c’est le don de la grâce. C’est une autre manière de parler de la vie surnaturelle, de l’état de grâce et de la vie de Dieu en nous. En nous créant, Dieu a voulu faire de nous ses enfants, c’est-à-dire nous faire participer à sa propre vie pour que nous soyons « participants de la nature divine », dit saint Pierre (2P 1, 4). Les Pères de l’Eglise parleront donc d’une véritable divinisation de l’homme : non pas pour être l’égal de Dieu, mais pour avoir part à ce qu’il possède. La première miséricorde de Dieu est de nous avoir fait don de sa propre vie et de nous avoir fait entrer dans sa propre relation trinitaire.

Le projet de Dieu : faire de nous ses enfants

« C’est ainsi qu’Il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour, déterminant d’avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus Christ » (Ep 1, 5). Le bonheur du Père de la parabole, c’est de pouvoir vivre avec ses enfants, de s’entretenir avec eux, de leur partager ce qu’il est et ce qu’il a, mais à condition qu’ils demeurent à ses côtés. Par ce don, l’homme n’est plus simplement une créature mais un enfant, et possède donc en héritage ce qui fait le bonheur même de Dieu.

C’est le constat émerveillé de saint Paul dans l’épître aux Romains : « En effet, tous ceux qu’anime l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père ! L’Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu. Enfants, et donc héritiers ; héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui » (Rm 8, 14-17).

Le péché : un refus de ce don

Aucun des deux enfants de la parabole ne comprend vraiment ce don. Le cadet veut profiter des dons de Dieu mais loin de Dieu, ce qui n’a aucun sens car le bonheur consiste dans à être présent aux côtés du père dans sa maison. Mais l’ainé vit matériellement de ce don sans s’en réjouir, dans un esprit d’esclave qui ne fait que suivre des commandements sans goûter la joie d’être auprès de son père : « Voilà tant d’années que je te sers, sans avoir jamais transgressé un seul de tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau, à moi, pour festoyer avec mes amis » (v. 29). Il est dans un état d’esprit de soumission et non d’amour et ne sait pas ouvrir les yeux sur ce que lui offre son père : vivre avec lui et vivre de tout ce qu’il possède.
A cette lumière, nous pouvons mieux comprendre que le péché grave est un drame. Le péché grave, que l’on appelle mortel, tue cette vie de Dieu en nous et nous coupe de l’intimité avec Dieu et donc de l’héritage qu’est le bonheur du ciel. La description de l’état lamentable de l’enfant prodigue après son départ (la faim, la solitude, la déchéance consistant à manger la nourriture des porcs qui est une véritable humiliation pour un juif) souligne par contraste à quel point nous sommes faits pour vivre proches du père, dans la communion de la Trinité. Cela souligne aussi la profondeur de la miséricorde de Dieu qui nous relève de cette déchéance pour nous refaire le don de sa vie. La grande et bonne nouvelle de l’Evangile est que Dieu nous donne la possibilité de restaurer cette communion avec lui. Par le pardon offert, il nous donne l’occasion de réentendre cette phrase magnifique : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ».

La fidélité du don de Dieu au-delà du péché

Ce qui ressort enfin de la parabole de l’enfant prodigue, c’est que même la déchéance du péché n’enlève pas la dignité de fils. Par le péché, l’homme refuse de se considérer comme fils de Dieu mais il le reste réellement. La preuve en est que le père redonne son anneau au fils prodigue dès son retour. Malgré notre péché, nous restons infiniment aimés de Dieu. Si le péché offense réellement Dieu, c’est parce qu’il contrarie gravement le projet de Dieu sur nous. La parabole souligne que cet amour paternel demeure en montrant le Père qui guette son fils et accourt vers lui. Saint Jean-Paul II nous dit que la joie du père au retour du fils « manifeste qu’un bien était demeuré intact : un fils, même prodigue, ne cesse pas d’être réellement fils de son père ; elle est en outre la marque d’un bien retrouvé, qui dans le cas de l’enfant prodigue a été le retour à la vérité sur lui-même ». (Encyclique Dives in Misericordia, n° 6)

« Si tu savais le don de Dieu » (Jn 4, 10) Ce fut la parole de Jésus à la Samaritaine. Nous sommes peut-être à son image, ayant du mal à percevoir en profondeur le don que Dieu nous a fait en nous appelant à devenir ses enfants. En méditant cette parabole, nous pouvons demander au Seigneur une triple grâce. Comprendre que Dieu nous a appelé à une vie d’intimité avec Lui. Comprendre que le péché, qui nous détourne de lui et nous coupe de cette relation, attriste le cœur de Dieu et nous détruit en profondeur. Avoir toujours confiance que malgré notre péché, Dieu nous aime et nous voit comme ses enfants

Abbé Jean-Raphaël Dubrule

Publié dans le 10 octobre 2018

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