Christologie - Concile - Pères de l'Eglise

II : Le concile et ses conséquences 

Dans notre article précédent, nous avions exposé les raisons qui ont poussé à la convocation par Constantin du premier concile œcuménique de l’Église. Nous avons établi le contexte – la crise arienne – et présenté les principaux acteurs. Commentons maintenant ses décisions et leurs effets.

Nous avions laissé les trois cent dix-huit évêques répondant à la convocation de Constantin au moment où ils commençaient à siéger dans la basilique de Nicée, aujourd’hui engloutie sous les eaux du lac d’Iznik. Très vite, une forte majorité favorable à Alexandre d’Alexandrie et hostile à Arius apparaît. Il devient alors clair que l’enjeu de Nicée n’est plus la condamnation d’Arius – elle a déjà été prononcée par son évêque – mais plutôt la condamnation des évêques qui sont trop proches d’Arius.

Ces derniers ne forment pas un groupe homogène et ne professent pas une doctrine vraiment définie : ils sont plutôt liés par une école théologique qui insiste sur la subordination du Fils au Père et qui peine ainsi à reconnaître la divinité et l’éternité de la deuxième personne de la trinité. Cette école, dont les chefs sont Eusèbe de Nicomédie et Eusèbe de Césarée, s’oppose dès lors au courant majoritaire, qui soutient comme Eustathe d’Antioche et Athanase d’Alexandrie que le Fils est éternellement engendré par le Père, qu’il n’a donc pas eu de commencement et que son être ne sort pas du néant, mais de l’être même du Père.

Le Credo, terrain de compromis et de clarification

La stratégie des évêques qui n’approuvaient pas ces définitions a consisté à ne pas y résister frontalement, mais à proposer au concile des formules plus larges, plus bibliques, laissant davantage de place à l’interprétation. Ainsi Eusèbe de Césarée aurait soumis à l’approbation du concile le symbole de foi, ou credo, dont on se servait pour les catéchumènes de son église. Cette formule, certes traditionnelle, présentait l’avantage pour lui de ne pas trop en dire sur le point clef des débats : la nature du Fils et sa relation exacte au Père.

Si l’on en croit le même Eusèbe, les pères conciliaires auraient alors repris le credo proposé, mais l’auraient enrichi avec des expressions plus nettes pour fermer la porte à toute possibilité de doctrine arienne. Ainsi le Christ n’est pas seulement notre Seigneur, ou « Lumière née de la Lumière » – ce que personne ne contestait – mais il est aussi « vrai Dieu né du vrai Dieu », il n’est pas uniquement Fils de Dieu, ce qui peut s’entendre de plusieurs manières, mais il est « engendré non pas créé. » Le concile a lentement et longuement débattu de la valeur de chaque mot du nouveau symbole pour préciser plus nettement les contours de la révélation ; saint Athanase se serait alors signalé comme « un maître impétueux à défendre toute la foi » (saint Hilaire de Poitiers).

Homoousios : le mot qui divise

Dans cette définition du dogme, un mot va retenir l’attention des protagonistes jusqu’à devenir un signe de contradiction pour près d’un siècle : homoousios. Sous l’impulsion conjuguée d’Athanase et d’Osius de Cordoue, envoyé du pape, les pères de Nicée déterminent en effet que le Fils est « homoousios au Père ». Ce mot composé ne figure pas dans la bible, mais il affirme, contre la doctrine arienne, que le Fils est « consubstantiel au Père », c’est-à-dire « de même substance » que le Père.

En grec, homos signifie « même » : deux personnes sont ainsi homonymes si elles ont un nom identique. La traduction de ousia est beaucoup plus délicate : le terme appartient au vocabulaire métaphysique et désigne la substance de quelque chose, son être profond. Dire que le Fils est « homoousios au Père » exprime d’abord pour les pères de Nicée que le Fils n’est pas une créature faite d’une autre substance que celle du Père : il possède la même essence incréée qui se distingue radicalement de tout autre type d’être.

Mais au moment où s’ouvre le concile, le vocabulaire théologique manquait encore de précision et on pouvait employer ousia ou hypostasis pour nommer tour à tour le genre, l’essence ou même l’individu. Certains pouvaient ainsi entendre de bonne foi le mot ousia au sens d’être individué, autrement dit, de personne. Selon cette acception, dire que le Fils est « homoousios au Père » revient à dire que le Fils est la même personne divine que le Père… hérésie !

Résister pour croire : ceux qui ont sauvé l’héritage de Nicée

Quel a donc été l’effet du concile de Nicée ? À court terme, l’arianisme a été condamné avec tout le poids de la majesté de Constantin. Arius dut s’exiler et ses écrits furent brûlés. Deux évêques seulement refusèrent de signer le symbole de foi et furent aussitôt déposés de leur siège. Mais plusieurs autres s’étaient soumis par crainte et méditaient déjà leur vengeance. Parmi eux plusieurs étaient spécialement dangereux par leur proximité avec la famille impériale et leur influence sur elle : Eusèbe de Nicomédie, Eusèbe de Césarée, Théognis de Nicée même ! L’autorité de l’évêque Alexandre d’Alexandrie était consolidée et sa doctrine reconnue comme traditionnelle et vraie, mais son successeur saint Athanase s’était fait de nombreux ennemis. L’influence qu’il avait acquise par sa fermeté et son autorité fut immédiatement menacée par de jalouses combinaisons politiques, nées dans les alcôves d’une cour impériale dramatiquement associée aux affaires de l’Église. Le symbole et les canons de Nicée sont d’ailleurs loin d’avoir connu la publicité universelle à laquelle nous sommes habitués pour les écrits des papes modernes : saint Hilaire de Poitiers témoigne en effet qu’il n’a connu le symbole de Nicée que plus de vingt-cinq ans après les faits !

Par conséquent, en 335, seulement dix ans après le concile, Arius et ses partisans étaient rappelés d’exil par Constantin tandis que les chefs nicéens, Eustathe et Athanase, subissaient à leur tour la sentence d’exil. Pire encore : l’empereur Constance II, fils de Constantin, prit énergiquement parti pour des thèses ariennes et chercha à les imposer aux évêques par des symboles de foi effaçant l’œuvre de Nicée. Saint Hilaire de Poitiers, saint Eusèbe de Verceil et le pape Libère voulurent s’opposer à lui : ils furent exilés, emprisonnés et diversement maltraités. Libère lui-même, pour retrouver son titre, accepta de condamner saint Athanase et signa en 358 une formule de compromis dangereuse pour la foi. « La terre tout entière gémit et s’étonna d’être arienne », a pu écrire saint Jérôme à ce propos.

Le concile de Nicée n’est parvenu jusqu’à nous que grâce à la persévérance de saints évêques qui ont su mettre l’orthodoxie, la droite doctrine, au-dessus de leurs intérêts et des idées en faveur à la cour du César de leur époque. Un effort théologique pour distinguer ce qui relevait de l’hérésie et ce qui tenait à de l’incompréhension fut aussi nécessaire : saint Basile de Césarée et saint Grégoire de Nazianze y dépensèrent leur talent et leur vie. Il fallut enfin que la providence plaçât sur le trône un nouvel empereur, Théodose, mieux inspiré en théologie que ses prédécesseurs : c’est lui qui convoqua, en 381, le concile de Constantinople qui rappela l’œuvre de Nicée, la confirma et la paracheva pour nous donner le symbole de Nicée-Constantinople que nous chantons encore tous les dimanches à la messe.

Par l’abbé Guillaume Le Gall

Publié dans , le 7 juillet 2025

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