lois de Dieu

Le 6 octobre, lendemain de la remise du rapport de la CIASE aux évêques de France, Mgr de Moulins-Beaufort a déclaré sur Franceinfo : « le secret de la confession est plus fort que les lois de la République ». Il a été immédiatement convoqué par Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, pour s’expliquer. Sans revenir sur le contexte polémique et l’opportunité médiatique de ces propos, nous nous proposons de réfléchir à leur vérité : les lois de Dieu sont-elles au-dessus des lois de la République ?

I. Rendez à César et à Dieu

Tous connaissent la célèbre réponse de Jésus à propos de l’impôt : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22,21). Que veut-il dire ?

Aux Pharisiens qui refusaient de payer l’impôt, Jésus rappelle le devoir de fidélité envers les autorités politiques (on le retrouve en Rm 13, 1-7).

Tandis que le monde romain rend un culte à César — ce que les premiers chrétiens refuseront absolument — Jésus rappelle que le pouvoir politique ne doit pas être divinisé. César comme Macron doivent rendre à Dieu ce qui est à Dieu : « vous êtes les ministres de sa royauté ; si donc vous n’avez pas rendu la justice avec droiture, ni observé la Loi, ni vécu selon les intentions de Dieu, il fondra sur vous, terrifiant et rapide » (Sg 6,4).

Dieu n’est pas un « concurrent » de César.

Ce dernier point est particulièrement important, car nous avons tendance à projeter sur Dieu notre vision humaine de la puissance. Nous imaginons facilement Dieu comme un puissant au-dessus des puissants. Mais Dieu est le créateur de César, il lui donne d’être ce qu’il est : homme et souverain. « Tu n’aurais nul pouvoir sur moi si cela ne t’avait été donné d’en haut » (Jn 19,11). Dans cette perspective, les lois de Dieu ne sont pas « au-dessus » des lois humaines ; elles permettent à l’homme de vivre, de vivre en communauté, d’être libre… d’être homme !

II. Saint Thomas et la Loi

1. La loi est une illumination

C’est la raison pour laquelle saint Thomas d’Aquin place le traité de la Loi au coeur de sa Somme théologique (Ia-IIæ q. 90-108). Puisque l’homme doit librement vouloir devenir homme, Dieu a mis en son coeur une lumière qui lui permet de savoir comment accéder à son humanité véritable. C’est ce que Thomas d’Aquin et toute la tradition appellent « la loi naturelle ».

Ici, il s’agit de remarquer un changement profond de perspective, qui n’est pas sans conséquence. Tandis que notre culture a une vision volontariste de la loi « expression de la volonté générale » (DDEC n° 6), saint Thomas la définit comme « une certaine ordonnance de raison en vue du bien commun, promulguée par celui qui a la charge de la communauté » (Ia-IIæ q. 90, a. 4, co.). Pour lui, la loi est avant tout une illumination de l’intelligence. L’homme est instruit, éclairé, guidé par la loi de Dieu. Lorsque Dieu dit « Tu ne tueras pas » [1], il ne s’agit pas d’une expression de sa volonté (arbitraire), mais d’une lumière pour que les hommes se conduisent comme des hommes.

2. Loi naturelle et lois humaines

C’est dans ce contexte que doivent être pensées les lois humaines. Par la loi naturelle, l’homme découvre les grands principes qui lui permettent d’accéder à l’humanité véritable. Il revient ensuite au souverain de promulguer des lois pour permettre concrètement à la communauté dont il a la charge de mener une vie bonne et vertueuse. Par ex., le principe de la justice « rendre à chacun ce qui lui est dû » est découvert par l’homme lorsqu’il est attentif à la loi naturelle inscrite en lui. Il comprend qu’il est juste que le capitaine d’un navire reçoive une part de butin supérieure à celle de ses hommes. Mais dans quelle proportion ? C’est à la loi humaine de le déterminer.

La loi naturelle n’est donc pas « au-dessus » de la loi humaine, mais plutôt son respect est la condition pour que la loi positive ait force de loi.

Conclusion

« Il devient impossible de se rencontrer et de se mettre pleinement d’accord, avec sécurité, à la lumière d’une même loi de justice admise et suivie par tous [si l’autorité ne reconnaît pas un ordre moral transcendant, universel et d’égale valeur pour tous] » (Compendium de la DSE n° 396, citant s. Jean XXIII, Mater et Magistra).

L’enjeu de cette question n’est pas secondaire : il en va tout simplement de la possibilité de créer une communauté véritable.

Abbé Hugues de Franclieu

[1] Certaines lois morales de l’Ancien Testament rappellent à l’homme la loi naturelle, car sa raison a été obscurcie par le péché originel.

Publié dans , le 14 décembre 2021

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