Cette question se pose avec d’autant plus de force que les décennies passées ont été marquées par un net recul de l’évangélisation chez les catholiques, beaucoup se montrant excessivement confiants dans la possibilité d’obtenir le salut en dehors de la foi explicite, quand ce n’est pas par oubli du but de la mission faire participer à la vie trinitaire.
L’approfondissement théologique sur les moyens du salut a permis de définir la possibilité du salut sans le baptême d’eau et même sans la foi explicite au Christ. Saint Jean-Paul II rappelait, dans l’encyclique Redemptoris Missio : « L’universalité du salut ne signifie pas qu’il n’est accordé qu’à ceux qui croient au Christ explicitement et qui sont entrés dans l’Église. Si le salut est destiné à tous, il doit être offert concrètement à tous. Mais il est évident, aujourd’hui comme dans le passé, que de nombreux hommes n’ont pas la possibilité de connaître ou d’accueillir la révélation de l’Évangile, ni d’entrer dans l’Église. Ils vivent dans des conditions sociales et culturelles qui ne le permettent pas, et ils ont souvent été éduqués dans d’autres traditions religieuses. Pour eux, le salut du Christ est accessible en vertu d’une grâce qui, tout en ayant une relation mystérieuse avec l’Église, ne les y introduit pas formellement mais les éclaire d’une manière adaptée à leur état d’esprit et à leur cadre de vie. Cette grâce vient du Christ, elle est le fruit de son sacrifice et elle est communiquée par l’Esprit Saint : elle permet à chacun de parvenir au salut avec sa libre coopération » (n° 10).
Une question apparaît donc : si l’on peut être sauvé sans la foi explicite, est-il nécessaire d’évangéliser ?
La réponse est évidemment positive, comme le rappelle le concile Vatican II : « Bien que Dieu puisse par des voies connues de lui amener à la foi sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu (He 11,6) des hommes qui, sans faute de leur part, ignorent l’Évangile, la nécessité incombe cependant à l’Église (1Co 9,16) – et en même temps elle en a le droit sacré – d’évangéliser, et par conséquent son activité missionnaire garde dans leur intégrité, aujourd’hui comme toujours, sa force et sa nécessité » (Décret Ad Gentes, n° 7).
Cette nécessité repose d’abord sur le côté fragile et incertain du salut hors des moyens ordinaires. En effet en dehors du baptême et de l’appartenance visible à l’Église :
1. Il n’y a pas le caractère baptismal qui identifie sacramentellement au Christ. Le non-baptisé n’est pas « équipé » pour recevoir les grâces du Saint-Esprit. Il est comme une plante qui n’a pas été plantée dans la bonne terre.
2. Le non-baptisé n’a pas accès aux sacrements essentiels à l’épanouissement de la grâce, que sont la confession et la sainte Eucharistie. Il est comme une plante dont la terre n’est pas entretenue et fertilisée.
3. Enfin, il manque au non baptisé l’éclairage de la Parole de Dieu, qui lui permet d’éclairer sa conscience pour la libérer de l’erreur. Il est comme une plante qui n’a pas de tuteur pour pousser droit.
La nécessité d’évangéliser repose ensuite sur un autre fondement qui souligne une vision peut-être encore plus profonde du projet divin. En effet, nous n’avons pas seulement été créés pour être sauvés a minima mais pour vivre dans l’intimité divine dès ici-bas.
La congrégation pour la doctrine de la foi écrivait le 3 décembre 2007 : « Même si les non-chrétiens peuvent se sauver au moyen de la grâce que Dieu donne « par des voies connues de lui », l’Église ne peut pas ne pas tenir compte du fait qu’en ce monde, il leur manque un très grand bien : connaître le vrai visage de Dieu et l’amitié avec Jésus Christ, Dieu avec nous. En effet, « il n’y a rien de plus beau que d’être rejoints, surpris par l’Évangile, par le Christ. Il n’y a rien de plus beau que de Le connaître et de communiquer aux autres l’amitié avec lui » » (Col 1, 13-14). (Note doctrinale sur certains aspects de l’évangélisation, n° 7).
Cela souligne l’autre but de l’activité missionnaire : faire connaître le vrai visage de Dieu, révélé par Jésus-Christ, en vue d’un bonheur surnaturel dès ici-bas. Cela permet de sortir d’une vision restreinte du salut, comme une forme de « ticket d’entrée » qu’il suffit d’avoir pour la vie éternelle.
Saint Jean-Paul II le résume ainsi : « Toute la portée missionnaire de l’Évangile de Jean se trouve exprimée dans la « prière sacerdotale » : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17,3). Le but dernier de la mission est de faire participer à la communion qui existe entre le Père et le Fils : les disciples doivent vivre entre eux l’unité, demeurant dans le Père et le Fils, afin que le monde reconnaisse et croie (cf. Jn 17,21-23) ». (Encyclique Redemptoris Missio, n° 23)
Les décennies que nous venons de vivre ont hélas mis en lumière un net affadissement du souci missionnaire en raison d’une trop grande confiance dans un salut en dehors de la foi explicite mais peut-être aussi en raison de l’oubli du but dernier de la mission : la participation à la vie trinitaire. Tel est le projet éternel de Dieu, pour lequel il a besoin que tout chrétien soit évangélisateur. Hier comme aujourd’hui, l’urgence missionnaire demeure.
Abbé Jean-Raphaël Dubrule
