Annie Laurent a écrit récemment une somme remarquable sur l’Islam*. Elle nous fait l’honneur de développer le thème de l’eschatologie du point de vue du Coran.
L’eschatologie, ou science des fins dernières, occupe une place importante dans le Coran. Les musulmans croient en l’immortalité de l’âme et à la résurrection des corps, donc à une vie dans l’Au-delà. « Parce que l’Heure vient sûrement — pas de doute à son sujet — et parce qu’Allah ressuscitera ceux qui se trouvent dans les sépulcres » (22, 7). C’est le motif invoqué par les musulmans pour refuser l’incinération des défunts.
L’ISLAM ET LES FINS DERNIÈRES
À leur mort, les hommes comparaissent devant Allah pour être jugés, ayant à leurs côtés deux anges qui ont recueilli leurs bonnes et leurs mauvaises actions (50, 17-18). Au-delà des actes, Allah réserve ses faveurs à ceux qui ont jusqu’au bout assumé leur état de croyants, c’est-à-dire de musulmans, les deux mots étant synonymes dans la langue du Coran. Pour comprendre cela, il faut souligner que l’islam y est présenté comme la « religion immuable » inscrite par Allah dans la nature humaine (30, 30). Dès l’origine, Adam, ses fils et leurs descendants l’ont attesté (7, 172). Cet épisode est qualifié de « pacte primordial ». Autrement dit, tout être humain qui vient au monde naît musulman et, en comparaissant devant Allah, il ne peut prétendre l’avoir ignoré.
Il est donc demandé au défunt d’assumer son identité religieuse constitutive sous peine de se trouver dans un « profond égarement » (4, 136) et d’en payer le prix lors de sa mort. « Celui qui désire une autre religion que la Soumission [l’islam], son choix ne sera pas accepté par Allah et il sera dans la vie dernière au nombre des per-dants » (3, 85). Il convient ici de souligner que l’islam n’envisage pas la destinée finale de l’homme en termes de salut. En effet, le Coran occulte la réalité du péché originel, telle qu’elle est décrite dans la Genèse. Adam dé-sobéit et se repent (cf. 2, 35-38 ; 7, 19-26). La création n’est pas abîmée par cette désobéissance. L’homme n’a pas besoin d’être sauvé, mais il a besoin d’être guidé. Tel est le rôle du Coran. « Assurément, de moi vous par-viendra une guidance » (20, 123). Cela pose évidemment le problème de l’origine du mal.
LE BIEN ET LE MAL
Le mal commis par l’homme dépend-il de la volonté divine ? Plusieurs versets le laissent penser. On lit par exemple qu’Allah « égare qui il veut ; il dirige qui il veut » (16, 93) ou encore : « Celui qu’Allah dirige est bien diri-gé, mais tu ne trouveras pas de maître pour guider celui qu’Il égare » (18, 17. Cf. aussi 2, 2-7 ; 14, 4 ; 16, 9 ; 21, 23 ; 22, 54-55). Allah serait-il donc l’auteur du mal (comme du bien) ? Au Moyen Âge, époque des grands débats doc-trinaux qui ont agité le monde musulman, les commentateurs du Coran ont émis des avis divergents. En 923, Tabarî rallia la position majoritaire de l’acharisme. « Le Coran est un appel universel, mais il ne guide et ne guérit que les cœurs des croyants, tandis qu’il aveugle et assourdit tous les autres ». En 1144, Zamakhsharî, adepte de l’école rationaliste des moutazilites, écrivait : « Si l’homme était contraint au mal ou au bien, Dieu ne lui de-manderait pas le compte-rendu de ses actions. En effet, il ne peut pas demander aux hommes ce qu’ils sont incapables d’accomplir » (1). Jusqu’à nos jours, la question n’a pas été tranchée. Elle ne peut l’être puisque l’islam, dans sa version sunnite, très majoritaire, ne dispose pas d’un magistère apte à délivrer des interprétations reçues comme authentiques.
« CHÂTIMENT IGNOMINIEUX »
Quoi qu’il en soit, ceux qui refusent l’islam subiront le « châtiment ignominieux » préparé « pour les incrédules » (4, 37). Parmi eux le Coran mentionne « ceux qui ont donné des égaux à Allah » (14, 30) — il s’agit d’une allusion aux chrétiens qui croient en la divinité de Jésus —, les fils d’Israël (2, 83-85) et les apostats (3, 86). Notons que les musulmanes ne sont pas exclues du paradis. « Allah a promis aux croyants et aux croyantes des jardins où cou-lent les ruisseaux. Ils y demeureront immortels » (9, 72).
ENFER ET PARADIS
Le Coran contient d’abondantes descriptions de l’enfer et du paradis, qui y apparaissent comme des réalités éternelles, mais matérielles et non surnaturelles. Les souffrances de l’enfer, physiques et psychologiques, ne résul-tent pas d’une privation d’intimité avec le Créateur ; les jouissances du paradis excluent la vision béatifique, raison pour laquelle le purgatoire n’a aucune utilité. « Le voile qui sépare l’homme de Dieu demeurera dans le paradis de l’islam » en déduisait le dominicain Jacques Jomier, grand islamologue (2). L’islam refuse ainsi le projet rédempteur de Dieu qui passe par la médiation du Christ.
Annie Laurent
* L’Islam: pour tous ceux qui veulent
en parler (mais ne le connaissent pas encore)(1) Cf. Mohammad Ali Amir-Moezzi (dir.),
Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, 2007,
rubrique « Bien et mal », p. 131-134.(2) Dieu et l’homme dans le Coran, Cerf, 1996, p. 130.