« Seigneur je ne suis pas digne de vous recevoir, mais dites seulement une parole et mon âme sera guérie ». C’est par cette parole du centurion demandant la guérison de son fils — parole d’une telle foi qu’elle provoqua l’admiration de Jésus — que l’Église nous prépare quotidiennement à la réception immédiate de l’Eucharistie. Il nous faut donc rentrer dans les mêmes dispositions et les mêmes sentiments que ce centurion pour nous approcher de la Communion. Prenons conscience de notre indignité devant une telle grâce, mais posons aussi l’acte de confiance en Dieu. C’est Dieu lui-même qui nous rend dignes. « Oui, en effet, vous n’en êtes pas dignes, mais vous en avez besoin ! », disait le curé d’Ars à ses fidèles.
À genoux
La liturgie de l’Église est là pour nous aider à prendre la mesure de notre indignité face à la transcendance de Dieu, et en même temps, la liturgie rend Dieu proche de nous. Aristote disait que rien ne tombe dans l’intelligence qui ne passe d’abord par les sens. La liturgie use de gestes, de paroles, de signes sensibles pour exprimer la foi de l’Église et nous faire percevoir quelque chose du mystère de Dieu. L’architecture, le chant sacré, les ornements, les objets liturgiques, les saintes huiles, l’encens, les cierges, etc. sont autant de signes que la liturgie s’approprie pour façonner l’âme des fidèles afin de les faire rentrer dans les justes dispositions. Le prêtre le jour de son ordination, comme le catéchumène adulte le jour de son baptême, se prosterne de tout son long en signe d’humilité. Les fidèles à la messe sont tantôt assis, tantôt debout, tantôt à genoux et chacune de ces positions exprime une attitude d’âme : le disciple qui écoute, celui qui avec respect se tient prêt, ou celui qui adore et s’humilie. Aucune attitude n’est spirituellement neutre.
Pour recevoir la Sainte Eucharistie, l’usage apostolique veut que les fidèles communient à genoux et sur la langue. Cette manière de communier n‘est pas non plus spirituellement neutre. Elle manifeste extérieurement une attitude intérieure. Elle marque non seulement le respect, mais également la révérence dûe au Très Saint Sacrement. Si le respect est dû à toute personne quelque soit sa condition, la révérence s’adapte en revanche à la personne que l’on salue par exemple. Ainsi j’embrasse mes parents, je serre la main d’un ami ou d’un collègue, mais j’embrasse l’anneau de l’évêque en mettant un genou à terre.
Sur la langue
La communion sur la langue s’est imposée dès les premiers siècles de l’Église si l’on en croit le témoignage du pape saint Léon le Grand (440) « On reçoit dans la bouche ce que l’on croit par la foi ». Saint Basile (330) souligne que déjà de son temps la règle est la communion sur la langue lorsqu’il parle des exceptions à la règle : « On peut toucher l’hostie lorsque ne pas le faire entraîne de se priver du Sacrement dans des cas d’extrême nécessité. » Les cas de nécessité dont il parle sont les temps de persécutions ou pour les moines au désert lorsqu’il n’y a ni prêtre ni diacre pour distribuer la Sainte Hostie.
Respect et prise de conscience
Il est entendu qu’il ne suffit pas de recevoir la communion à genoux sur la langue pour avoir toutes les dispositions d’âme nécessaires. Ce serait hypocrite de le prétendre. Mais cette manière de faire marque une certaine rupture par rapport à tout ce que l’on peut appréhender de nos mains et consommer par nous-mêmes au quotidien. Et cette rupture interpelle le fidèle, elle l’éduque, elle le pousse plus naturellement au respect et à la prise de conscience de ce qu’il reçoit.
Présence réelle
Souvenons-nous du dialogue entre un journaliste et sainte mère Térésa en 1997 : à la question « quel est le plus grand malheur du monde actuel ? », la réponse de mère Térésa fut : « Ce n’est pas la misère ou la famine, dont sont victimes tant de pauvres, ce ne sont pas les guerres, et les catastrophes de toutes sortes, c’est la Communion dans la main qui est ce manque de respect, vis-à-vis de la personne de Jésus-Christ ». Cette réponse pourrait paraître décalée aujourd’hui — elle n’est cependant pas si éloignée de nous — et pourtant, cette réponse radicale exprime la foi dans la Présence réelle. Ce n’est pas qu’une question disciplinaire ou purement dogmatique. L’enjeu est pastoral, puisqu’il touche au salut des âmes. On ne manipule pas impunément Dieu comme un objet. De la manière dont on s’approche de lui, dont on le reçoit, découle une attitude, une atmosphère de vie chrétienne.
« Seigneur, je ne suis pas digne de vous recevoir, mais dites seulement une parole et mon âme sera guérie ! »
Abbé Eloi Gillet