Confrontée à une cour d’ecclésiastiques et de savants malveillants ayant juré sa perte, sainte Jehanne d’Arc garde son sang-froid et répond du tac au tac aux questions les plus pernicieuses avec l’insouciance de son jeune âge, confortée par son innocence.
« Laissez-moi 24 heures pour transformer cette bergère en sorcière » affirmait avec aplomb Pierre Cauchon à l’impatient régent Bedford. Jehanne n’avait pourtant pas tremblé ni devant les murailles de Patay ni devant l’armée des anglois. Mais le sinistre évêque l’emmène sur des terrains bien plus escarpés pour une bergère illettrée. Il va l’attaquer sur la théologie et le droit canon. Si elle ne craignit pas de défier les plus grands généraux, l’humble envoyée de Dieu devra bien se soumettre à ses représentants officiels réunis à Rouen.
Soutenu par une armada de docteurs en Sorbonne, appuyé par les plus grands dignitaires ecclésiastiques de son temps, le triste évêque de Beauvais ne pensait faire qu’une bouchée de Jehanne. Elle est seule et sans défense face à une curie au sommet de sa puissance. Seulement la curée ne fut pas si facile- ment expédiée et il faut croire que devant un parterre de quarante-huit robes et de bonnets plus intimidants que savants, la petite Jehanne tint l’hallali beaucoup plus longtemps que prévu.
Face aux galimatias tordus et retors, Jehanne, du haut de ses dix-neuf ans ne garda dans ses mains qu’une seule arme. Une arme que seuls les saints peuvent tenir sans orgueil : la vertu d’insolence. La colère aurait été malséante, la fourberie indigne de chevalerie et la couardise impossible pour cette bergère intrépide. Il ne lui reste pour elle que le petit sourire en coin qui finit toujours par trahir l’insouciante insolence.
La Pucelle, fille de Roi, vendue par les Bourguignons a été achetée au même prix que les princes de sang. Sa sentence est déjà prononcée avant l’ouverture du procès mais Jehanne veut rajouter à la scélératesse de ses ennemis une étiquette plus infâme encore : celle du ridicule.
À question idiote, réponse idiote
Dans la salle pleine du procès, on suffoque. Les questions fusent dans tous les sens pendant des heures pour piéger la Pucelle. La stratégie des jurés est sournoise : plus les questions seront saugrenues, plus les réponses risquent de l’être. Celle de Jehanne est simple et radieuse : « à question idiote, réponse idiote ».
Quand elle ne veut pas répondre, elle se contente d’un expéditif « passez outre ». Quand elle veut prendre le temps, elle répond sans autres explications : « Je vous répondrai dans huit jours ». Quand on lui reproche de contredire les plus grands docteurs de la chrétienté qui se tiennent devant elle : « Toute lumière ne vient pas que pour vous ».
Il faut s’arrêter un instant et songer au vieil universitaire avaler son bonnet de rage en recevant un tel soufflet. Lui, qui docilement n’a suivi dans sa longue carrière qu’une seule ligne : celle que lui imposait la flatterie. Il a l’habitude de voir ses étudiants à genoux, suppliants pour valider une année ou un examen. Elle, au même âge, alors que sa vie est en jeu, se moque de lui. Elle sourit en plus. Quelle insolente !
Des traits d’esprit retranscrits par le récit historique
Mais, et c’est là qu’est le plus amusant, dès que l’un des juges démunis s’enfonce dans le ridicule, alors, comme pour alerter la postérité, elle enfonce le clou : « Comment était son accent » demandait un assesseur étranger au sujet de saint Michel, elle lui répondit avec son sourire en coin : « meilleur que le vôtre ».
L’insolente ! Ce qui étonne est que le clerc à ce moment aurait pu ne pas retranscrire ce dialogue qui n’apporte rien au procès. Il a dû s’en amuser et secrètement nous transmettre le sourire en coin de Jehanne.
L’insolence de Jehanne, comme la colère du Seigneur n’est à consommer qu’avec modération. Ce ne sont que des attitudes extérieures. Le mépris manifeste de Jehanne n’est que le reflet d’une âme qui n’est aspirée que vers les plus hauts sommets. Plus âgée elle eût peut-être biaisé, rusé. C’est le propre de la jeunesse que de jouer franc jeu, de risquer de tout perdre. Elle ne craint pas de perdre quoi que ce soit puisqu’elle n’a rien. Le contraste est saisissant face aux jurés qui, progressivement, sont allés tout doucement perdre leurs âmes pour amasser des couronnes périssables.
Jehanne s’en moque. Elle ne se moque pas de la hiérarchie, ni ecclésiale, ni royale. Elle reste soumise aux sacrements, à son Église et fidèle à son roi.
Elle n’est, dans son insolence, ni au-dessus des lois, ni au-dessus des rois. Elle a choisi de servir messire Dieu en premier. Sa patrie est déjà au ciel, mais son combat reste dans la fosse temporelle : Jehanne sert le bon roi Charles et sa terre.
Jehanne ne détruit pas les conventions, comme une révolutionnaire qui ferait table rase, mais par un sourire en coin, elle dénonce d’un coup toutes les hypocrisies de son temps.
Enfin, Jehanne ne détruit pas le sacerdoce, mais en dénonçant la forfaiture de ce tribunal ecclésiastique, elle ne fait que s’inscrire dans le sillage du Christ contre les pharisiens, ou d’Osée contre les prêtres : « aussi nombreux qu’ils sont, ils ont péché contre moi ; je changerai leur gloire en ignominie. Ils se repaissent des péchés de mon peuple. Ils ne désirent que ses iniquités » Os, 7-8.
Jehanne n’a pas l’autorité légitime pour réformer l’Église et la chrétienté. Jusqu’au bout elle ne reste que la petite bergère du Seigneur. Elle ne destitue per- sonne, ne détruit rien. Elle a seulement le génie de ridiculiser l’hypocrisie.
Jehanne n’est donc pas insolente, et il n’existe pas de vertu d’insolence. Elle n’a que la fraîcheur des vertes prairies, la spontanéité gymnastique d’une fille du peuple qui ne sait pas formaliser les problèmes de son temps, mais qui fait tomber les masques et se rit des mascarades.
Jehanne n’est pas insolente. Elle est seulement insouciante. Si les juges ne l’ont pas compris ainsi, s’ils ont pris la mouche, ce n’est pas de sa faute. Ils n’auraient pas dû se risquer au jeu de la paille, oubliant leurs poutres. Ce n’est pas la faute de Jehanne s’ils se sont rendus ridicules.
Jehanne est insouciante, et c’est cette insouciance qui a dû saisir cette jeunesse, qui par milliers s’est rendue aux JMJ vénérer son anneau.
Une jeunesse lumineuse comme Jehanne. Lumineuse car annonçant sans complexe une Foi de plus en plus incompréhensible. Jeunesse radieuse qui ne se cache pas sous le boisseau, qui ne craint pas de s’afficher « catho », qui ne court pas derrière les couronnes périssables. Jeunesse de Dieu qui ne puise sa joie que dans la Foi, l’Espérance et la Charité. Le monde ne comprend pas, il lui explique dans une inlassable tristesse que la seule joie est celle de Mammon. La jeunesse ne lui répond pas mais sourit d’une joie qui vient d’ailleurs. Insolente ! Lancent les nouveaux assesseurs d’aujourd’hui. Insouciante, corrige Jehanne satisfaite, insouciante…
Abbé Martial Pinoteau +